Je n’aime pas Manon Grotillard.

Si on me l’offrait sur un plateau d’argent, je ne la prendrais pas. C’est physique. Elle me rappelle une copine d’enfance qui se décrottait le nez, en cachette. La fille qui n’assume pas. Et lorsqu’elle se faisait prendre, elle collait toujours sa crotte quelque part. J’avais repéré son manège, et malgré le dégoût que m’inspirait son acte, je prenais un certain plaisir à observer où elle allait la coller. J’avais de la tendresse pour cette morveuse restée dans le placard, jusqu’au jour où elle la mit sur le bout de la gomme du crayon de papier que j’avais pour habitude de mâchouiller. J’en gardai un souvenir amer. Je ne lui pardonnai jamais vraiment. Et c’est Manon Grotillard qui écopa.

Avant Fatman, avant la Gosse, et avant même Maxi, Manon Grotillard, encore incognito, tourna dans le court-métrage d’un de mes amis. Un film érotique de lesbiennes vampires où je fis de la figuration pour dépanner. Pour moi, être devant une caméra, c’est un peu comme déambuler toute nue en plein centre-ville : malaisant. Alors mettons que l’idée d’être devant une caméra, toute nue, ne m’enchantait pas, mais pas du tout.

Nicolas tentait de me rassurer.

  –   « Tu vas être cadrée serré, on ne verra pas ton visage, il y aura juste une divine créature entre tes cuisses, en train de te manger. »

Je ne sais pas trop pourquoi j’acceptais. Certainement la curiosité.

– « Et c’est qui cette Dracula ? »

Une fille poussa la porte du café, elle fit la bise à Nico et me tendit la main. Surprise de la reconnaître, je lui répondis pour tout bonjour :

– « Candice? »

– « Non, moi c’est Manon !», me répondit-elle avec ses grands yeux bleus.

Je l’avais prise pour Candice Biscuit, cette camarade de la petite école à la morve au coin du nez. J’étais enchantée de savoir qu’elle allait me manger la chatte.

« Action ! »

J’étais allongée sur le dos, complètement nue, les poignets et les chevilles tenus par deux vampirettes qui contemplaient leur maîtresse balader sa langue sur mon corps en remontant dangereusement vers ma jugulaire.

Le scénario du film n’était pas vraiment écrit, et il laissait la part belle à l’improvisation. Je ne savais pas trop où cela s’en allait. Ma position de soubrette soumise faisait mon affaire, je n’avais rien à décider, juste à regarder le film se dérouler entre mes cuisses. Mais j’étais tout de même une spectatrice tendue dans son siège, à cause du froid, à cause des caméras, et à cause de Manon. Pourtant elle s’y prenait plutôt bien.

Elle rampait sensuellement sur moi, promenant sa langue entre mes seins, serrant mes mamelons entre ses dents avec juste la pression nécessaire, et mordant mon cou suffisamment fort pour y laisser sa marque sans me trouer la peau. Elle était même attentive à ma chair de poule puisque, entre les prises, elle vint me porter un peignoir pour me réchauffer.

– « Tiens, t’auras moins froid. », me dit-elle en jetant un œil à ma poitrine.

– «Merci. », lui répondis-je en rougissant.

– « Allez on reprend ! Tout le monde à sa place ! », cria l’assistante réal.

Manon se mit en selle sur moi et colla son corps chaud contre le mien. Elle plaça sa bouche à quelques centimètres de la mienne. « Action ! ». Du bout de sa langue, elle lécha mes lèvres sans m’embrasser. Le baiser ne faisait pas partie du scénario. Je sentais sa curiosité à mêler sa langue à la mienne, mais son désir ne dépassa pas le bleu gris de ses yeux, elle restait concentrée, déjà très professionnelle. Moi je ne pus m’empêcher, dans un réflexe, de passer ma langue sur mes lèvres maculées de son écume. Je la goûtais sur moi. Où commençait son sel et s’arrêtait mon sucre ? On se mangeait du regard et je me demandais où était la limite du jeu dans tout ça. À mesure que ma culotte se mouillait, mes souvenirs du primaire s’évaporaient.

« Coupé ! »

Je pousse la porte de la toilette. Descends mon pantalon. Urine. Fais attention à ne pas me cogner la tête contre la porte tout en ne m’asseyant pas sur la cuvette. Je m’essuie. Une fois. Puis une deuxième tellement mon sexe est mouillé. Je sors. Devant le miroir, les mains sous l’eau chaude, je me demande comment cette fille qui ne m’attirait pas il y a encore une heure se met à m’allumer. Est-ce ce qu’on appelle « la magie du cinéma » ? Pendant que je m’intellectualise l’entrejambe, la porte des toilettes s’ouvre et Manon apparaît. Elle me sourit timidement et reste là quelques secondes. Je me lave les mains une deuxième fois à défaut de savoir quoi dire. Elle entre dans une des toilettes. Après avoir fait couler trois quatre gouttes dans le fond de la cuvette, elle en sort et je réalise que j’ai encore les mains sous l’eau. Elle ouvre le robinet du lavabo à côté de moi et me regarde à travers le miroir, un sourire en coin :

« Elles doivent être propres ! », me dit-elle en désignant mes mains.

Je souris et réponds sans réfléchir :

« Si tu savais où je vais les mettre. »

Mon goût de la réplique ne me mène pas toujours sur les chemins de la poésie, mais j’assume. Elle ne rétorque rien et me tourne le dos pour le séchoir à mains, certainement gênée. Lorsqu’elle se retourne, je la saisis par la taille et la frenche à la volée. Elle est surprise, mais son baiser, loin d’être timide, me confirme que je suis la bienvenue. Je lui mange la bouche, deux pas en avant, elle me danse la langue, deux pas en arrière. On prend le temps de se sourire entre deux temps de valse. Elle a la joie enfantine.

On se pousse dans une cabine de toilettes. Je descends la fermeture éclair de ses jeans. J’y glisse ma main. Elle est déjà tellement mouillée que j’entre un doigt direct. Puis un deuxième doigt tout doucement. Elle se mord légèrement la lèvre. J’accélère la cadence, ses fesses claquent contre la porte. On s’embrasse profondément, jusqu’en arrière de la tête, et ma main embraye la sixième. Elle me crie dans la bouche. Son clito se hérisse. Ma main est de plus en plus à l’étroit dans ses chairs qui se gonflent de plaisir et qui rendent mes mouvements de plus en plus limités. Mes doigts se bleuissent dans son antre gorgé de sang. Elle est à deux doigts de jouir lorsque la porte des toilettes s’ouvre.

– «  Manon ? », demande une voix.

– « Oui ?! », répond-elle timidement.

– « Nicolas te cherche, on reprend ! », ordonne l’assistante réal.

Je récupère mes doigts. Elle remonte ses jeans et sort la première.

On se retrouve sur le plateau. Ses yeux sont pleins de notre coït interrompu. Les techniciens s’affairent entre mes cuisses, on me prépare à me faire manger. On me poudre l’entrejambe, un peu trop brillante au goût du DOP. J’ai chaud.

« Action ! »

Manon se place entre mes cuisses. Je devine son nez à deux doigts de mon sexe, je sens son souffle, chaud et court. Je dois rester couchée pour de ne pas être dans le champ de la caméra. Elle commence par me donner des petits coups de langue, raides et un peu gauches.

– «Manon, mets-y plus de fougue ! T’es Dracula, pas Blanche-Neige ! », lui lance Nicolas, visiblement impatient.

Je la sens se raidir davantage. Je rapproche alors légèrement mon bassin, l’invitant à y aller plus du plat que du bout de la langue. Mon clitoris commence alors à bomber le torse comme un bon petit soldat. Ça l’excite de me sentir gonfler. Inspirée, elle fait glisser une langue moelleuse, butant à chaque aller-retour sur mon clito et mon plaisir qui se décuple. Elle semble s’amuser, fait des cercles, dessine des 8. Je me dis qu’elle est peut-être en train de me composer un message secret. Puis elle vient donner des coups de langue profonds — non nécessaires au film, mais ô combien appréciés — à l’entrée de mon sexe qui coule.

Lorsqu’elle se redresse j’aperçois sa bouche, ses joues et son nez maculés de sang. Elle est belle le visage souillé, d’une beauté troublante, animale, crue, sans préciosité. Elle replonge entre mes cuisses et en ressort la face et les dents blanches barbouillées d’un rouge grenat qui tranche avec ses yeux céruléens. Ce sang mime une intimité, presque un pacte. Elle me mange, me boit, me vampirise. J’ai sauvagement envie de la baiser. Je lui agrippe les fesses et la fais basculer sur moi. On se frenche à pleine bouche, devant l’équipe un peu estomaquée de nous voir réécrire le scénario avec autant de vigueur. Elle me colle du faux sang un peu partout. Nicolas nous arrête dans notre élan :

– « Coupé ! Coupé ! C’est très beau les filles, mais on a ce qu’il faut, je pense.»

On démaquille Manon dans les loges tandis que je me rhabille. On est les deux un peu fébriles. On sait ce qui nous attend. On a hâte de se retrouver dans la plus stricte intimité, portant le strict minimum. La maquilleuse quitte la pièce. Je m’approche de Manon lorsque, tout à coup, j’aperçois à l’entrée de son nez, caché dans le repli de sa narine gauche, l’objet de mon traumatisme. Je me bloque. Je ne vois plus que Candice même si je sais que c’est Manon. Et lorsque sur un plateau d’argent, elle me tend une note avec son adresse pour plus tard, je ne la prends pas. Je glisse le papier dans ma poche, mais n’irai jamais sonner à sa porte.

Tout cela à cause d’une vulgaire crotte de nez à saveur de madeleine de Proust.

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