Je savais que cela ne serait pas facile. Elle avait la réputation d’être coriace. En plus, elle faisait la gueule. Elle venait de se faire larguer. J’avais surpris la fin, plutôt houleuse, de sa conversation téléphonique dans le couloir de l’hôtel. Répondre à mes questions de journaliste était la dernière chose qui lui tentait. Durant les quinze minutes que dura notre entretien, elle ne desserra pas les dents. Je ne pouvais rien faire sans elle, et elle ne donna rien. Me regardant droit dans les yeux elle me lança d’un ton sec: «C’est fini?». Je répondis d’un « Oui » qui voulait dire « Non, reste! ». Elle se leva et partit.
Après une heure cloîtrée dans ma suite, courbée sur mon ordinateur à essayer de rendre loquaces ses réponses laconiques, je décidais d’aller prendre un verre. Le bar de l’hôtel était désert. Personne pour me servir. J’attendis. Cinq minutes. Le bouquet de fleurs posé au coin du bar sembla s’animer. J’aperçus un bout de tête. Je me penchai sur le côté, mais la tête fit de même pour rester cachée. Je me penchai de l’autre côté, elle me fuit de nouveau. Devant le ridicule de la situation, je me levai d’un coup et je découvris Aude Tatou, un peu embarrassée. « Désolée, mais j’avais trop honte après mon comportement exécrable de cet après-midi. Je vous ai vu entrer dans le bar et je ne savais plus où me mettre. » Je lui répondis une phrase dont la banalité n’avait d’égal que la sincérité : « Oh! c’est pas grave, on a tous nos hauts et nos bas. »
– Oh oui, mais quand même, j’étais quelque chose. Je vous dois bien un verre.
– J’crois bien que le barman est parti se coucher.
Elle me sourit avec malice et passa derrière le bar.
– Bon je vous fais quoi? me proposa-t-elle.
– Un Dry Martini? demandais-je.
Charmée, je regardais ses longs doigts minces aux ongles courts s’activer à mettre de la glace, couper un zeste de citron, verser à l’œil gin et martini, et shaker le tout. Elle déposa le verre devant moi et me demanda :
– Et vous, on vous a déjà quittée ?
– Non. J’ai la mauvaise ou bonne habitude de quitter mes copines en premier.
– Ah, vous êtes lesbienne?! … Je devrais peut-être m’y mettre aux femmes, les hommes j’y comprends rien!
– C’est pas vraiment plus facile, et y’a un élément essentiel à ne pas négliger : être attirée par les femmes.
Elle m’observait et me répondit avec une franchise désarmante : – « En tout cas, vous vous l’êtes attirante. ». Elle fit le tour du bar, son Martini à la main, pour venir s’installer à côté de moi et commença à m’interroger sur les femmes. J’étais lesbienne, et non experte en psychologie féminine.
Les cocktails s’enchaînèrent. Elle quitta ses questions et sa curiosité de petite fille. Sa posture changea, elle se redressa, libéra ses doigts d’entre ses cuisses et les mit en valeur sur le rebord du bar. Elle avait de très belles mains. Les vapeurs d’alcool décollaient sa timidité et l’auréolaient d’une assurance nouvelle, vraiment sexy. Ses sourires devinrent plus insistants, plus aguicheurs aussi. Après notre troisième verre, un employé de l’hôtel vint nous informer que le bar était fermé et il nous demanda de quitter les lieux, Aude Tatou ou pas. Elle me proposa un dernier verre dans sa suite. On monta les escaliers en silence. Elle marchait devant moi et se retourna à quelques reprises pour s’assurer que je la suivais. On mouillait du regard. Ses yeux me prirent par la main jusqu’à la chambre 222.
J’entre en premier. Elle referme la porte et vient se coller derrière moi. Elle enlève ma veste et je sens ses seins dans mon dos tandis qu’elle caresse ma poitrine à travers le tissu. Je ne bouge pas, un peu intimidée par son assurance. Elle me tourne face à elle et commence à déboutonner ma chemise. Je regarde ses doigts fins défaire mes boutons. Elle me déshabille lentement. Je me demande si elle prend son temps ou si l’alcool l’affecte autant que moi. Mais loin de s’évaporer, elle est toute concentrée à mon effeuillage. Elle fait tomber ma chemise, et ôte mon soutien-gorge en un claquement de doigts, à la façon dont Audrey Hepburn vous arrête un taxi en sifflant d’une main. Je regarde ma poitrine, épanouie d’avoir retrouvé sa liberté. Elle plisse mes bouts en les caressant du revers de la main, puis du bout des lèvres. Elle me mange le sein et me dévore un petit bout de cœur.
Elle soulève ma jupe et je sens ma culotte descendre délicatement. À la caresse du tissu sur ma peau suit sa main chaude qui remonte à l’intérieur de mes cuisses. À genou, elle explore mes lèvres de ses doigts, jouant dans mes chairs. Mon corps est son terrain de jeu. Je me laisse faire, l’alcool m’enlève tout esprit d’initiative. Elle regarde ses doigts luisants de mes fluides, les sent et les met dans sa bouche pour les goûter. Le geste m’excite, mais je sais qu’elle ne l’a pas fait pour ça, elle semble plutôt prendre plaisir à toucher, goûter, découvrir. Elle pose son index et son majeur à l’entrée de mon sexe. Elle me darde de ses grands yeux noirs et s’enfonce en moi. Mes lèvres se gonflent et je ne sens plus mes jambes. Je m’accroche à ses – pas si frêles – épaules tandis qu’elle se promène de la partie émergée à celle immergée de mon clitoris. Elle accélère la cadence, mouillant au passage les petits cheveux de sa nuque. Sa main glisse en moi comme un couteau dans du beurre demi-sel laissé sur le comptoir de la cuisine un soir de canicule. Ses doigts sont partout, et je me demande ce qu’elle fait pour que ce soit aussi délicieux. J’aimerais faire durer le plaisir, mais je n’en ai pas la force. Je ne tiens plus debout, mes extrémités sont exsangues : la vie s’est réfugiée dans mon entrejambe, je ne suis plus que mon sexe. Mon cœur bat au rythme de mes spasmes, et lorsque l’orgasme me libère je garde ses doigts en otages pendant plusieurs secondes.
Récupérant sa main, elle me conduit jusqu’au lit. Toujours tout habillée de son complet bleu marine, elle s’allonge à côté de mon corps à fleur de peau. Scrutant ma nudité, elle attend que je me fasse moins farouche. Elle se remet à me caresser de sa main chaude, effleurant mes mamelons du bout de ses doigts, serrant mes hanches, pressant mes cuisses et massant mon sexe sans insistance particulière sur mon clitoris. Ce désintérêt pique mon con au vif, qui invite mon bassin à se mettre en branle sans même me consulter. Malgré trois Martini, un orgasme, et une position horizontale favorisant le sommeil, elle réussit à me ranimer et à me faire jouir une deuxième fois.
Venant à peine de finir de me cambrer, elle plonge sa tête entre mes cuisses et me déguste. L’habileté de sa langue n’a d’égal que son doigté et elle ne met pas de temps à me faire venir une nouvelle fois. Mes lèvres débordent. Je suis abasourdie par l’énergie sexuelle de cette femme dont l’appétit gargantuesque détonne avec la finesse de sa stature. Elle est inépuisable. Sortant la tête de mon sexe, elle vient se coller. Je sens à travers ses vêtements son corps chaud, fin, ses os pointus s’enfoncer en moi. Elle est encore pleine d’énergie pour me faire venir une 4e, 5e, 6e fois. Mon jus coule le long de mes cuisses et tache son pantalon. Elle ruisselle elle aussi dans son tailleur que je tente à plusieurs reprises de lui enlever, mais je finis toujours les deux mains plaquées au-dessus de la tête. Ma tête qui tourne de tout cet alcool, de tout ce plaisir, de tous ces orgasmes. Je ne me rappelle plus combien elle m’en a donnés ni combien elle en a eus. Elle semblait toujours très surprise de les avoir et elle lâchait un petit cri comme un juron qui vous échappe. Elle venait à me faire venir.
Le lendemain matin, émergeant de sous les draps, j’essayais de remettre en place mes souvenirs. Le lit était vide. On frappa à la porte. J’ouvris. La femme de chambre sembla surprise, pas tant que je l’accueille nue, mais de trouver quelqu’un d’autre que Madame Tatou dans la chambre. Pendant que je me rhabillais, elle tira les rideaux. Découvrant de jour la suite luxueuse et épurée, je réalisais qu’il y manquait un mini bar.
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