J’avais pour habitude de faire mes longueurs chaque matin dans ce lac, chaque été depuis mon enfance. Je venais si tôt qu’à travers l’eau cristalline j’observais les poissons aventureux se frayant un chemin entre mes jambes. Sous la douce caresse de leurs petites nageoires, je me souvenais de l’été passé et de sa saveur si particulière.

Je revoyais son corps nu sous l’eau, sa peau blanche éclairée par les rayons du soleil perçant le lac et ses seins en apesanteur dansant dans les vagues. Mon entrejambe se contractait en repensant à mes doigts dans toutes ses portes. J’entendais de nouveau l’écho de ses cris voyageant sur le lac, seules restaient les sensations comme souvenirs.

Elle louait l’unique maison surplombant le lac. Se croyant seule au monde ce matin-là, elle avait été surprise de voir quelqu’un dans l’eau et elle avait tenté de ravaler ses larmes. Mais le torrent était puissant.

Son regard azur, magnifiquement délavé était à la fois absent et profond. Elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à une actrice que j’affectionnais particulièrement. Je n’avais pas osé parler. M’avançant vers elle, je l’avais étreinte en guise de toute parole. Je me souviens de la chaleur de son ventre malgré sa chair de poule, et la dureté de ses mamelons contre les miens.

Nous sommes restées une longue minute sans bouger. Je sentais que ses secousses s’estompaient à mesure que son corps se réchauffait dans mes bras. Puis quelqu’un cria son nom depuis la maison perchée, et j’eus la confirmation que je venais d’enlacer un de mes plus grands fantasmes. Sans dire un mot, elle sortit de l’eau, dévoilant son corps, redevenant une silhouette connue et inaccessible. Elle se retourna et me fit un sourire qui grandit, paraissant aussi énigmatique que lumineux. L’empreinte de son corps m’habita toute la nuit.

Le lendemain matin, rentrant dans l’eau, je la retrouvais en train de siroter un café sur le quai.

« Hier, je répétais un rôle, vous savez ! » me dit-elle, comme pour s’excuser.

Je hochais la tête, ne voulant pas la contrarier. Puis j’insistais :

« Pour quel film ? »

« Oh je ne peux pas en parler, c’est confidentiel. »

« Je comprends. Mais je sais tenir ma langue. »

Elle me sonda du regard.

« Vous vous appelez comment ? »

« Raphaëlle. »

« Et vous ? », demandais-je ironiquement.

Elle échappa un rire.

« Appelez-moi comme vous voulez. »

« Laissez-moi y penser.

(…)

Francine ? », proposais-je.

« Frwancine. Ça va peut-être simplifier ma vie ce prénom-là. »

Seulement si vous choisissez la vie qui va avec. », lui répondis-je.

Un silence s’installa.

« Vous êtes qui Raphaëlle? Une sirène sortie du lac ? »

Elle me sourit et me déposa un baiser sur l’épaule avant de partir.

« Demain, je vous fais découvrir une place. », me dit-elle.

Ça sonnait comme une invitation.

***

Le lendemain matin, je fus surprise de la retrouver en maillot une pièce, installant son bonnet de bain et sa bouée de signalisation, telle une nageuse expérimentée. Elle arborait un large sourire.

« Je nage tous les matins jusqu’à cette île, vous m’y accompagnez ? ».

Je me demandais si elle répétait un rôle. Je venais tous les matins à la même heure et je ne l’avais jamais vu nager. Je venais depuis mon enfance dans ce lac et je n’avais jamais vu d’île. Avant même d’attendre ma réponse, elle fendit l’eau élégamment et je la suivis.  Nous nageâmes jusqu’à l’autre rive du lac jusqu’à ce qu’une immense roche, que je découvrais pour la première fois, nous empêche d’accoster.

« Il faut passer sous ce rocher, l’île est de l’autre côté. », déclara-t-elle avec assurance.

Elle plongea. Je la regardai s’enfiler comme une anguille dans un trou où elle disparut. J’étais terrorisée à l’idée d’entrer là-dedans. J’attendis quelques secondes pour m’assurer qu’elle ne rebroussait pas chemin. Puis, j’entendis sa voix de l’autre côté.

« Vous venez ? »

Je plongeai alors à mon tour, m’introduisis dans la cavité et ressortis de l’autre côté, avec l’étrange sensation d’entrer dans un monde parallèle. Mon pied sur la terre ferme n’avait pas la même pesanteur.

Sur l’île, elle retira son maillot gorgé d’eau et le laissa tomber lourdement sur les rochers.

« Welcome to Lesbo land », s’exclama-t-elle en lâchant un rire dont elle seule avait le secret.

M’engouffrant dans une forêt, je la suivais, hypnotisée par son déhanché qui faisait valser son cul magistralement roi. Pendant que nous marchions, j’entendais au loin un son, proche d’un bourdonnement.

Plus on s’introduisait dans le boisé et plus le son s’intensifiait, me donnant l’impression d’entrer dans une ruche. Puis subitement il s’interrompit en même temps que je découvris les yeux d’une trentaine de femmes nous fixant, comme si nous venions de pénétrer dans la demeure de quelqu’un sans y être invitées.

Lorsqu’elles virent Bate, elles poussèrent des cris de joie, l’accueillant comme une véritable reine. Toutes l’entourèrent et se mirent à l’étreindre et à l’embrasser. Elle ne semblait ni intimidée par toutes ces attentions, ni orgueilleuse: elle avait cette capacité d’être présente avec chacune, tout en conservant cette distance naturelle qui la faisait paraître inaccessible.

Ces femmes étaient là comme si elles vivaient sur cette île. J’étais le seul spécimen à maillot : toutes étaient nues.

Elles formaient plusieurs petits groupes se mêlant les uns aux autres, se faisant la lecture, chantant, riant, se caressant, dormant blotties comme des chats. Je n’avais jamais vu des êtres humains interagir dans une telle communion. Elles m’enlacèrent et m’invitèrent à m’asseoir pour profiter du festin qui jonchait le sol.

Sur une immense nappe trônaient des miches de pain, des confitures, du chocolat, des mangues, du raisin chasselas, des noix de coco, des bouteilles de vin, de généreuses pâtisseries. C’était orgiaque sur tous les tableaux. Je me demandais si j’avais atterri sur le plateau de tournage de son dernier film, ou si finalement j’étais restée coincée sous cette roche dans l’eau.

Je sentis des mains se poser sur mes yeux et des effluves de cacao enivrer mes narines. J’imaginais sous mon nez un des éclairs au chocolat que j’avais vu dans le buffet. Commençant à saliver, j’ouvris la bouche et pour toute sucrerie je sentis une langue se mêler à la mienne. Elle ne semblait n’en avoir que pour le bout de ma langue que l’odeur sucrée du chocolat avait stimulée.

Après un moment, elle se retira et une voix me demanda de tirer la langue. J’obéissais et je sentis du salé fondre sur mes papilles latérales, puis un baiser un peu plus substantiel s’en suivit, se concentrant sur les côtés de ma langue. Une autre voix m’invita à ouvrir la bouche et je reçus enfin l’éclair dont je rêvais.

J’engloutis une première bouchée et fus surprise par l’amertume du chocolat extra noir alors que je m’attendais à une crème pâtissière sucrée. L’amer réveillant mes papilles arrière, le french qui s’en suivit n’en fut que meilleur. Jamais un baiser ne m’avait procuré autant de sensations. Je faillis avoir un orgasme lingual, découvrant que cela pouvait exister.

Puis ce fut au tour de mon corps au complet de s’enflammer lorsque je sentis une bouche à l’avant de mon cou, une troisième au creux de ma nuque, tandis que mes doigts se faisaient sucer l’un après l’autre, mes seins et l’intérieur de mes cuisses caresser, et mes pieds masser.

Je n’avais jamais vécu une telle expérience. Je sentais une chaleur exponentielle prenant racine depuis mon chakra sacré. Je vivais l’étrange réalité d’être dans mon corps et au-delà. Comme si l’hyperstimulation de mon enveloppe physique expansionnait mon énergie jusqu’à embrasser mes autres corps énergétiques. Mon expérience humaine était à la fois pleinement charnelle et spirituelle.

Puis, tour à tour, les caresses cessèrent dans l’ordre dans lesquelles elles avaient commencé. Ces femmes maitrisaient à la perfection l’art du plaisir. Je pris un moment pour m’allonger.

Du coin de l’œil, une lumière verte attira mon attention. Les rayons du soleil faisaient scintiller une petite boîte intrigante que les nymphes apportèrent à Bate, comme un cadeau. Elle ouvrit l’écrin et déplia une étoffe satinée qui semblait contenir quelque chose de précieux qu’elle mit dans sa main. L’objet brillait de mille feux dans la lumière vive du soleil au zénith.

Curieuse, je m’approchais et Bate me vit. Elle prit ma main et y déposa un olisbos[1] en verre. Je fus surprise par le poids, je pouvais l’imaginer lourd dans mon sexe. Elle me regardait avec ses grands yeux, sondant mon excitation, puis elle fit le tour du groupe, le déposant dans d’autres mains avant de l’installer dans la ceinture qu’elle venait d’enfiler.

Toutes les nymphes se placèrent en cercle pendant qu’elle tournait sur elle-même jusqu’à ce que sa poignée érigée s’arrête et pointe la porte qu’elle allait ouvrir. Les femmes crièrent en cœur lorsqu’elle s’approcha de l’heureuse élue. Bate commença à huiler ses mains puis son manche, et ensuite à masser l’intérieur des cuisses, les fesses et le sexe de sa partenaire avec des mouvements lents et précis, d’une grande sensualité.

Je revoyais ses fesses enserrées dans le harnais. Le cuir noir sur sa peau blanche avait quelque chose de subversif. Ses cheveux naturellement ondulés par l’air marin s’agitaient sur ses épaules tandis qu’elle chevauchait son amante. Leur danse était d’une fluidité hypnotisante. À mesure que la nymphe changeait de position, Bate la suivait sans jamais sortir d’elle. Comme deux petites abeilles agglutinées, elles étaient tour à tour sur l’une, sous l’autre, devant, derrière, se chevauchant lentement ou énergiquement.

Autour d’elle, certaines femmes se joignaient ponctuellement pour mordre un sein, lécher un dos. Tout le monde participait et j’avais à mon tour envie de me joindre, mais la gêne me retenait, et comme si ma voisine lisait dans mes pensées, elle me prit par la main et me mena au cœur de l’action.

« Viens ! », me dit-elle de sa voix chaude.

Entourant le duo, le groupe s’ouvrit pour me recevoir, se mouvant avec une grâce que je n’avais jamais vue chez des êtres humains, à l’image d’une nuée d’oiseaux ou d’un banc de poissons. J’entrai alors dans la meute et me joignis au couple. L’amante de Bate me fit une proposition surprenante :

« Viens te coucher sur moi. », me dit-elle.

La femme qui m’avait menée jusque-là me prit de nouveau par la main et me plaça dos à l’amante qui se tenait à quatre pattes, m’aidant à me déposer délicatement sur elle dans une roue supportée sur son corps chaud et ancré. J’étais avec l’amante, dos à dos, comme une bête à deux sexes.

Offrant mon ouverture bien mûre à Bate, je faisais l’expérience d’être dans ses yeux tout en étant contre le corps d’une autre. Soulevant avec douceur et assurance mes cuisses qu’elle déposa sur ses épaules pour mieux me cueillir, Bate s’enfonça en moi jusqu’à ce que nos deux sexes s’embrassent.

La reine se retirait de mon antre pour alterner entre mon sexe et celui de la nymphe, mélangeant nos fluides. Elle se délectait à commenter ce qu’elle voyait, parlant de nos ouvertures avec détails et liberté. Chaque mouvement de son bassin me procurait des sensations aiguës et délicieuses, faisant couler le miel en moi où elle glissait plus profondément encore.

Entre ses cuisses, son outil était une prolongation de son corps comme le pinceau d’une artiste ou le burin d’une sculptrice. Ce n’était pas tant l’objet qui m’excitait, mais la façon qu’elle avait de s’en servir pour nous faire jouir. Elle sortait de moi des sons que je n’avais jamais entendus. Elle me travaillait par petits coups, prenait des pauses pour mettre dans sa bouche un raisin ou un sein, puis revenait pour s’enfoncer en nous. Sa façon de baiser était de l’Art.

Sa présence, son aisance, ses grands yeux bleus pénétrants, son immense bouche qui avalait tout, son amour des plaisirs charnels et les mots qu’elle glissait au bon moment déclenchèrent mon orgasme, et ma déflagration entraina celle de ma siamoise de sexe. Sentant tout son corps vibrer sous mon orgasme, je jouis une seconde fois par procuration. J’entendis alors mes sœurs venir à leur tour, dans un concert d’orgasmes libérateurs.

Chaque jour qu’elle habita la maison du lac, nous nageâmes jusqu’à cette île pour la faire trembler de nos cris, de nos danses, de nos transes orgasmiques, baisant toutes ensemble jusqu’à en être repues. Et lorsque nous nous décidions de regagner l’autre rive, l’eau lavait notre sève. Nous revenions vierges de nos ébats. Cette eau gardait la mémoire de nos plaisirs, de nos orgies, du temps où nous nous promenions nues, en femmes libres.

Je regardais la maison qui surplombait le lac. Elle était vide, mais je pouvais la revoir apparaître sur la terrasse, sa blondeur contenue dans son grand chapeau de paille. Son aura était palpable même si elle n’était qu’un point au loin. Je n’arrivais pas à voir ses yeux, mais je sentais son regard sur moi. Elle esquissa un sourire en ma direction qui grandit et devint aussi énigmatique que lumineux.

_____

[1] olisbos, n. masculin: godemiché

Copyright © 2024 CUMIN. Tous droits réservés.